dimanche 11 novembre 2007

[Oldies] David Ackles - American Gothic (1972)

De toute sa vie, David Ackles n’aura jamais su quoi faire, n’aura jamais su sur quel pied danser, passant d’une activité à son opposée en un claquement de doigts. Une débauche d’énergie qui le priva sûrement d’un succès musical qu’il aurait mille fois mérité.

Car oui, David Ackles est un artiste à la trajectoire fluctuante. Né en 1937 dans l'Illinois au sein d'une famille baignée par le monde artistique (un grand père comédien de music-hall et une grand-mère à la tête d’un quatuor féminin), il débute – très jeune – comme acteur au sein de séries américaines des années 40. Quelques années plus tard, il se tourne vers l’université, part étudier la littérature à Édimbourg, avant de revenir aux États-Unis empocher son diplôme de cinéma.

Il fait montre rapidement de grandes capacités artistiques, aussi bien pour le ballet que pour la comédie musicale ou le théâtre. Malgré cela, et alors qu’il écrit déjà pour la télévision, il devient détective privé puis gardien de nuit (!). On évoque même le fait qu’il ait pu faire quelques séjours en prison. Bref, une image brouillée, une ligne de vie qui part dans tous les sens, sans jamais arriver à s’arrêter sur une activité en particulier.

A la fin des années 60, il rentre chez Elektra, un des labels les plus importants de l’époque – au catalogue assez fascinant, arrivant à regrouper en son sein, notamment, Love, les Doors, le MC5 ou encore les Stooges.
La différence entre David Ackles et les groupes pré-cités, c’est que lui n’arrive pas comme artiste maison. Mais uniquement comme songwriter. Jac Holzman, fondateur d’Elektra, a en effet beaucoup aimé Blue Ribbons, un titre composé par notre homme, mais ne se voit pas lui confier plus.

Les mois passent et finalement, David Ackles arrive, à force de persuasion, à obtenir un contrat qui donnera naissance à trois albums. Un triptyque acclamé par tous les critiques du monde mais qui ne vendra jamais rien (ou presque).

'American Gothic' conclut cette trilogie (qui n’en est pas une). Un disque miraculeux, en forme d’apogée artistique, assez déroutant, et dont il est difficile de se remettre. Un album produit merveilleusement par le pourvoyeur de tube d’Elton John, Bernie Taupin, avec Robert Kirby aux arrangements (célèbre pour avoir travaillé sur le ‘Five Leaves Left’ de Nick Drake) et le London Symphony Orchestra pour backing-band.

Un album qui est en quelque sorte un résumé des multiples carrières artistiques d’Ackles. Folk ou pop, ce disque est surtout influencé par l’opéra ou le théâtre, arrivant ici et là à recréer des ambiances qui sont propres à ces univers là (Oh California!, voir par ailleurs) : ces passages de cordes, ces cuivres n’attendant que la réponse d’un ténor, ces vocalises stupéfiantes.

Stupéfiant, 'American Gothic' l’est également par sa description sans concession des États-Unis, entre déclarations d’amour et critiques acerbes, toute en vérité (le plus bel exemple restant ce Montana Song de dix minutes qui ferme l’album, où l’on découvre les États-Unis vu par les yeux des pionniers), même s’il s’octroie de temps à autres quelques jolies balades beaucoup moins virulentes.

Largement influencé par Jacques Brel ou Frank Sinatra (cette emphase dans les paroles et dans le chant, ces constructions de morceaux), 'American Gothic' est un chef d’œuvre. Derek Jewell, un des plus influents critiques musicaux de l’époque, décrit même l’album, dans une chronique restée célèbre, comme le « Sergent Pepper of Folk ». Rien que ça.
Mais au-delà de ces considérations comparatives, ce disque fait partie de ces albums qui demandent plusieurs écoutes pour vraiment s’en imprégner. Et comprendre à quoi on a à faire. Un disque romantique, inspiré, judicieusement bonifié par un London Symphony Orchestra qui ne fait qu’un avec le piano de David Ackles. Un disque qui n’aura pas connu le succès espéré et qui sonnera le glas de la collaboration avec Elektra.

Des années plus tard, Phil Collins (!) et Elvis Costello, entre autres, lui tresseront des couronnes de louanges. Et on jurerait entendre du David Ackles chez la grande Joanna Newsom. Mais cela n’y changera rien. Lui d'ailleurs s’en foutait sûrement, reparti qu’il était à suivre et découvrir d’autres vies artistiques. Mais il aurait sans doute aimé, comme il l’expliquait au milieu des années 90, retravailler avec Bernie Taupin, sur quelques morceaux. Le temps et un cancer auront finalement raison de ces retrouvailles. Entre tous les génies oubliés et disparus, ça doit être un bordel magnifique là haut…

Première sortie : 1972 (Elektra)
Réédition : 2005 (Elektra)


Pour bien faire, trois titres en écoute. Je dois avouer avoir eu du mal à choisir les trois titres. Je pense qu’ils sont plutôt représentatifs du disque: Oh California!, Love's Enough et Montana Song :


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