L'art de la reprise est souvent délicat et s'émanciper de la chanson originale n'est pas chose aisée. Ils sont très nombreux à être tombés dans la redite un peu simplette et pas franchement renversante, qui n'apporte rien au matériau de base.
L'Italienne Emma Tricca (désormais à Londres) n'est pas tombée dans le piège au moment de reprendre It Don't Bother Me, chanson titre du deuxième album de Bert Jansch sorti en 1965. Elle l'a même rendue particulièrement magnifique. Contrairement à la version de l'Écossais, dans un style linéaire et tout Bert Jansch-ien, Emma Tricca et le groupe qui l'accompagne (où on retrouve Steve Shelley de Sonic Youth) en font une relecture ample et moins linéaire en l'agrémentant d'une orchestration classique mais séduisante (quand elle n'est pas frissonnante) où la belle voix de l'Italienne et une trompette divine se partagent à tour de rôle la lumière.
On notera également la « face-B » de ce single numérique (une version physique ne semble pas au programme) : Good Morning Diner, une chanson composée par Emma Tricca, moins enlevée que la reprise de It Don't Bother Me mais pas moins belle.
Album : It Don't Bother Me / Good Morning Diner Année : 2021 Label : Dell'Orso Records
Orchestrations soyeuses pour crooner délicat, musique pleine de grands espaces à perte de vue, le beau est au programme de 'Once', une des belles surprises de ce printemps 2021. Derrière l'album, Christophe Vaillant et son alias Le SuperHomard à la production, Maxwell Farrington, australien devenu briochin, à la voix.
Un disque beau donc, ample aussi, moins Lee Hazlewood que le Scott Walker des débuts ou le Adam Green d'avec Binki Shapiro, mais tout à fait savoureux. Et si l'album se perd un peu dans sa face-B après une face-A totalement
impeccable, la
pop orchestrée et orchestrale chantée de cette voix de crooner qui s'ignorait jusque là, est une réussite franchement immédiate.
Revenu de ses projets parallèles multiples, Nicholas Thorburn semble s'être assagi à ne plus courir quinze lièvres à la fois et en se concentrant uniquement sur son projet majeur. Cinq ans après deux albums (dont le très réussi 'Taste'), le revoilà, ses Islands sous le bras et sur les épaules, prêt à donner naissance à 'Islomania', huitième album du groupe canadien, un temps régulier de ces pages.
Et pour l'instant, force est de constater que Nick Thorburn n'a rien perdu de son talent de compositeur tant les trois chansons dévoilées jusque là sont aussi épatantes qu'efficaces. Dans la lignée de 'Taste', chacune d'elles a ce petit truc en plus (le gimmick de Set The Fairlight, le synthé sur la dernière partie de Carpenter, le côté Hot Chip de (We Like To) Do It with the Lights On) qui leur donne un potentiel d'indie hit pas négligeable.
Album : Islomania Année : 2021 Label : Royal Mountain Records
Hier, lors du papier sur le nouvel album de Flock of Dimes, je m'épatais de l'abondance de très bons disques d'artistes féminines en cette année 2021. A y regarder de plus près, une autre tendance est en cours : celle des duos inattendus et qui sont pas là pour faire de l'épate à deux sous. Après Bachelor (Jay Som et Ellen Kempner) et Chelsea Wolfe/Emma Ruth Rundle, place donc à deux mastodontes du rock indé avec Sharon Van Etten et Angel Olsen qui s'acoquinent le temps d'un Like I Used To brillant - et sans doute appelé à avoir des petits frères.
Une chanson dont l'ambition toute eighties va à merveilles à ces deux reines. Accompagné d'une pochette et d'un clip qui ne démentent l' inspiration et l'envie artistique des autrices, Like I Used est un single ample, mené par un riff à la Born to Run de Springsteen mais joué au ralenti, où Sharon Van Etten et Angel Olsen se répondent puis se rejoignent dans des chants qui ne sont pas sans rappeler celui de têtes d'affiches de la fin des années 70 et du début des années 80, au premier rang desquelles Bonnie Tyler. Très réussi.
Cette année 2021 fait décidément la part belle aux artistes solos féminines, responsables d'albums, si ce n'est mémorable, tout au moins remarquable. Après Julien Baker, girl in red, Cassandra Jenkins et sans doute Lucy Dacus ou Bachelor, tout en n'oubliant pas l'extraordinaire album de Kìzis, voilà Flock of Dimes, l'alias de Jenn Wasner, qui n'est autre qu'une des deux Wye Oak, groupe déjà croisé dans ces pages.
'Head of Roses' est son second album. Et si on pourrait lui reprocher un petit manque d’homogénéité, il n'est pas exempt de caractère et de cachet. Avec sa pop qui passe par tous les états, où ne point que rarement la joie, et porté par une production très juste, le disque a quelques belles envolées (One More Hour, Hard Way) dont la plus réussie est sans doute Price of Blue, longue balade électrique à la mélancolie prégnante et aux riffs délicieux.
Album : Head of Roses Année : 2021 Label : Sub Pop
Il y en a pour qui cette année de confinement et de couvre-feu aura été une tannée, un chemin de croix interminable, un tunnel sans même un point de lumière tout au bout. Et puis il y a Melina Duterte (aka Jay Som). L'américaine aura mis à contribution ces journées corsetées et vides de sens pour se lancer dans de nouveaux projets et de nouveaux défis. Il y eut 'And Other Things Ep', joli disque écrit et enregistré avec sa compagne Annie Truscott sous le nom de Routine. Et il y a désormais Bachelor, nouveau projet à deux mais avec Ellen Kempner de Palehound cette fois, plus consistant vu que le duo ouvrira sa discographie directement par un premier album.
Celui-ci s’appellera 'Doomin' Sun', sortira le 28 mai prochain et comptera au générique aussi bien Annie Truscott que James Krivchenia et Buck Meek échappés un temps de Big Thief.
Trois chansons de l'album ont été dévoilées ; et si Stay in the Car est un sacré single aux racines toutes bostoniennes, c'est Sick of Spiraling qui retient l'attention : une balade mid-tempo, rock sans l'être vraiment, aux guitares qui ne sont pas sans rappeler quelques élans propres aux Beatles. Surtout, une chanson délicieusement sans âge.
Album : Doomin' Sun Année : 2021 Label : Lucky Number
Depuis le remarquable 'Singing Saw' en 2016 et le tube implacable qu'était I Have Been to the Mountain, Kevin Morby m'ennuie, aussi bien sur scène que sur disque. A chaque nouvel album, la déception est plus grande que la précédente, l'américain tournant plus que jamais en rond.
La publication toute récente de Dumcane ne viendra pas bousculer cet état de fait vu que la chanson a été écrite à l'époque de 'Singing Saw' et a fini aux portes de l'album. Mais cette balade toute simple et légèrement habillée, d'où émane, en plus d'une grande beauté, une vraie sincérité, fait un bien fou. Elle permet de me retrouver à nouveau en phase avec un artiste dont certaines des chansons continuent de rythmer mon quotidien.
Rejoint par Arab Strap dans mon petit cœur d'artichaut comme un des rares groupes à avoir réussi sa reformation, Dinosaur Jr. continue ses aventures discographiques avec ce cinquième album de seconde partie de carrière.
On ne dira pas que 'Sweep It Into Space' est le meilleur album du groupe. Pour être honnête, c'est peut-être même le plus faible. Ou disons plutôt le moins consistant, tant tout est ici de bonne facture. Car si on n'atteint certes pas les sommets de 'I Bet On Sky'et 'Beyond', mais il y a tout de même quelques sacrées chansons, comme la balade Garden (en écoute aujourd'hui). Une chanson où la nervosité de ses guitares la dispute au chant gracile et toujours si juste de Lou Barlow, compositeur de ce titre ô combien mélancolique.
Album : Sweep It Into Space Année : 2021 Label : Jagjaguwar
En plus des playlists Spotify, Deezer et YouTube, Garden de Dinosaur Jr. est également en écoute ci-dessous :
Le clip de Garden, un des singles de 'Sweep It Into Space', de Dinosaur Jr.. A voir rien que pour Jay Mascis qui a l'air ravi de jouer dans la neige avec des gants de ski :
Auteur jusque là de deux albums, Cheekface n'est pas le genre de groupe à trainer en route. Moins de trois mois après la parution du dernier en date ('Emphatically No.'), le trio de Los Angeles a déjà donné suite à sa discographie avec We Need a Bigger Dumpster, nouveau single décapant - et pour l'instant, pas annonciateur d'un nouvel album.
Ironique à bien des égards, efficace comme jamais, cette chanson d'indie-rock, un rien slacker, a un je ne sais quoi de Jeffrey Lewis, aussi bien dans le chant (cette façon de continuer à dérouler son texte alors que la norme demanderait un léger temps de latence), la mélodie que dans les paroles (« I caught a cold, I coughed on all my friends, Now everyone is coughing on everybody else, And we're coughing on our doctors and our doctors cough out: "Everything is fine! Everything is fine! Everything is fine!" »). Un titre drôle, caustique plus que moqueur, et surtout sacrément bien écrit.
Album : - Année : 2021 Label : New Professor Music
Révélés - à mes oreilles - en 2019 par un Drunk II épatant et un album 'Patience' qui l’était tout autant, les Mannequin Pussy reviennent aux affaires avec un nouvel Ep, ‘Perfect Ep’. Un disque qui s’ouvrira par la chanson titre, brûlot punk de 82 secondes aux paroles qui ne font pas dans le détail (« Look in my eyes, tell me I'm it, tell me I'm beauty, tell me I'm fit. Laugh at my face, spit on my tits, tell me I'm perfect, tell me I'm it ») et qui se prolongera avec Control (en écoute aujourd’hui), superbe chanson qui commence comme une balade-rock mais qui embraye rapidement sur un indie-rock marqué du sceau des 90s et des plus savoureux. Sortie le 21 mai.
Album : Perfect Ep Année : 2021 Label : Epitaph Records
Que le temps passe : il y a presque 20 ans, jeune étudiant à la recherche de raisons pour repousser encore plus mon entrée dans le monde du travail, j'étais parti vivre en Angleterre à Coventry, mon programme Erasmus sous le bras. Objectif officiel ? Obtenir un BABA 3 (ou Bachelor of Arts in Business Administration 3è année) pour faire je ne sais quoi pour je ne sais qui. Envie officieuse ? Vivre la meilleure année de ma vie.
Et il faut dire que le succès fut au rendez-vous, pour au moins un des deux projets. Parti sept jours après les attentats du 11 septembre, je n'ai pu me résoudre qu'à revenir une fois en France. A Noël, le temps de revoir la famille, dire au-revoir à mon grand-père, et choper une grippe carabinée le soir du réveillon. Un seul retour en neuf mois avant un départ déchirant, assis dans une bus inconfortable, les yeux mouillés venant troubler les dernières images d'une ville où je savais que je ne remettrais pas les pieds.
Parce que bien que considérée comme une des pires villes d'Angleterre, Coventry avait tout pour plaire : un côté village, des prix moins prohibitifs qu'à Birmingham ou Londres, un quartier étudiant (dont la maison que je partageais avec des gens qui sont devenus depuis des compagnons d'une vie, était la porte d'entrée) plein de grecs, d'italiens, d'espagnols, d'allemands ou de français.
Pendant un an, ce ne fut que soirées, house-parties à 100 personnes - souvent évacuées par des bobbies calmes et sereins, ouverture de boites de nuit qui fermeraient quelques semaine plus tard, divagation sur tous les sujets dans un anglo-franco-espagno-italien, espéranto de pacotille mais compréhensible, des petits matins frais, et des batailles homériques et quotidiennes entre soleil et pluie. Un bonheur sans fin en quelque sorte.
Pour autant, et bizarrement, ces neuf mois à Coventry ne furent pas passés à l'ombre d'un ampli d'une salle de concert. Oui, même en étant au cœur de l'Angleterre, dans une ville prolo s'il en est, je n'ai assisté qu'à un seul concert, celui de Six. By Seven, dans une salle où j'avais mes habitudes de fêtard ; délaissant la musique pour tout le reste.
Si mon moi de 2001 était transporté en 2021, nul doute tout de même qu'il aurait poussé un peu plus la chose. Et en aurait sans doute profiter pour y découvrir le quintet FEET, originaire de... Coventry. Un groupe qui avait (semble t-il en tout cas) eu son petit effet il y a deux ans avec la sortie de son premier album 'What's Inside Is More Than Just Ham'. Et qui s'apprête à remettre ça avec 'Walking Machine Ep', nouveau 4 titres à venir le 4 juin prochain chez les très sûrs Nice Swan Records qu'il n'est plus besoin de présenter.
Un disque qui se présente sous les meilleurs auspices avec Peace & Quiet, brillant premier extrait entre rock, pop et post-punk (que FEET qualifie de « crease pop ») de deux minutes tout juste, pas avare de critiques à l'encontre de la scène actuelle (« Squeaky clean indie boys corporate ass kissing closing down venues cause the hippies ain’t listening », « I wanna hear a chorus not a list of people your blaming »). Une chanson surtout anglaise en diable et qui a le bon goût de me rappeler que si j'ai la nostalgie de mes 20 ans, l'Angleterre, elle, me manque follement.
Album : Walking Machine Ep Année : 2021 Label : Nice Swan Records
Après deux Ep de haute volée, réunis en une compilation 'Beginnings' en 2019, Marie Ulven, sous son alias girl in red (toujours en minuscule) passe donc à l'étape de l'album avec 'if i could make it go quiet'. Un disque dans la lignée de ses premiers efforts, mais avec une production plus importante voire imposante, mais qui n'abime ni ne réduit en rien la qualité des ses compositions.
Ouvert par un Serotonin classieux à souhait dans son mélange de pop à l'ancienne et de triturages actuels, girl in red déroule en un peu plus de trente minutes ses envies, ses espoirs et surtout ses souffrances. Car si en deux ans la norvégienne a vu son statut changer et son audience grandir, ses questionnements restent les mêmes. Et you stupid bitch (en écoute aujourd'hui) en est l'exemple même : « Don't bite your lip or grit your teeth, just count to ten and try
to breathe. You stupid bitch, can't you see the perfect one for you is
me? » dit-elle sur cette chanson aux airs d'hymne indie, genre de bad idea! 2.0 et tube évident d'un album attendu et qui ne déçoit pas.
Album : if i could make it go quiet Année : 2021 Label : AWAL Recordings