On savait qu'il était fatigué. On savait qu'il n'était plus vraiment parmi nous depuis bien longtemps, sans doute depuis la fin des années 60 et l'enregistrement inachevé de 'SMiLE', le disque de sa vie qu'il avait dans sa tête mais qu'il n'a jamais su entièrement mettre sur bandes. On savait que la mauvaise nouvelle n'allait pas tarder à tomber, surtout à plus de 80 ans, surtout après le décès de sa femme l'an passé. On y était préparé.
Et pourtant, l'annonce du décès de Brian Wilson m'a ému. Beaucoup ému. Il faut dire que dire un adieu définitif à un des deux plus grands génies de l'histoire de la pop a de quoi toucher. Un homme responsable d'avoir écrit un des plus beaux disques de l'histoire de la musique, considéré par des générations entières comme un chef d’œuvre absolu (lisez ce qu'en disait ?uestlove hier soir), disque qui a peut-être fait des Beatles ce qu'ils sont devenus, qui a influencé plus qu'une époque, et dont les versions « a cappella » des 13 chansons (sur le coffret 'The Pet Sounds Sessions')est une des choses les plus merveilleuses au monde.
Un compositeur qui a élevé au rang d'art la pop music comme personne d'autre avant lui. Et le seul artiste qui peut s'asseoir à la table de tous les autres (pop ou non) des soixante dernières années et dire « qui a écrit une plus belle chanson que God Only Knows ? ». Personne, évidemment. Merci pour tout génie, car Dieu seul sait où la musique serait et où nous serions si nous n'avions pas croisé votre route.
Il semblerait que James Yorkston ait trouvé son nouvel idéal. Il y a quatre ans, l’Écossais s'était retrouvé en Suède, avait rencontré The Second Hand Orchestra (quel superbe nom), grande confrérie musicale menée par Karl-Jonas Winqvist, au sein de laquelle évoluent de très bons faiseurs pop (le Peter de Peter Bjorn and John par exemple), et avait enregistré avec eux 'The Wide, Wide River', album magistral et généreux au possible, pas cornaqué pour un sou et d'une liberté folle.
Deux ans plus tard, James Yorkston et ses nouveaux amis avaient remis cela avec 'The Great White Sea Eagle' en invitant Nina Persson de The Cardigans à se joindre à eux. Si le disque était joli comme tout, il manquait de fraîcheur, comme plus cadré, où les inspirations inattendues qui donnaient tant de charme au précédent avaient disparu.
Sur 'Songs for Nina and Johanna', son nouvel album à venir le 22 août prochain (le seizième solo, rien que ça), James Yorkston reprend la même bande avec lui, convie à nouveau Nina Persson mais aussi Johanna Söderberg, une des deux sœurs de First Aid Kit. Deux femmes à qui il dédie le disque ('Songs for Nina and Johanna') et écrit dix chansons, cinq chantées avec l'une, cinq avec l'autre. Pour l'instant, deux sont disponibles et laissent à croire que le zeste de magie qui habitait 'The Wide, Wide River' est bien de retour. Il suffit d'écouter Love / Luck pour s'en convaincre (en écoute aujourd'hui). Une chanson à la mélodie toute Yorkston-ienne, chantée en duo avec Johanna Söderberg (et leur mélange de voix est merveilleux), avec pour base une guitare folk drivée par un piano beau et lumineux, et des orchestrations qui viennent peu à peu participer à la fête. Un morceau remarquable, ample et qui, comme souvent avec James Yorkston, emballe autant qu'il émeut.
Album : Songs for Nina and Johanna Année : 2025 Label : Domino Records
Après Flood il y a quelques semaines, une fois n'est pas coutume, parlons aujourd'hui d'une autre chanson du nouvel album de Little Simz, paru vendredi dernier. Un disque très attendu après les deux excellents précédents albums et où l'on espérait voir l'anglaise revenir à son meilleur suite à un 'Drop 7 Ep' l'an passé plutôt quelconque et plutôt raté.
Ce nouvel album ('Lotus') a été travaillé sans Inflo, pourtant un des architectes, si
ce n'est la matrice, des trois précédents et qui donnait aux chansons de Little Simz sa patine et son éclat (le chef d’œuvre 'I Might Be Introvert' et son incroyable chanson d'ouverture Introvert lui doivent beaucoup). Mais l'anglaise s'est depuis brouillée avec le leader de SAULT pour une sombre histoire financière (pour la faire
courte, elle lui réclame le remboursement d'un prêt de 2,2 M$, rien que
ça) et est donc partie voir ailleurs (Miles Clinton James en l’occurrence), pour mieux aussi se réinventer. Et à l'écoute, le changement ne l'a pas changée et son talent, la précision de son rap et la finesse de son écriture toujours aussi incandescents.
Dans ce disque dont on n'a pas fini de découvrir les contours tant il
regorge de moments forts, on ressortira tout de même très rapidement
Lotus (en écoute aujourd'hui), chanson titre aussi majuscule que majestueuse, sur laquelle Little Simz
invite le batteur jazz Yussef Dayes et le grand Michael Kiwanuka. Un morceau à l'orchestration divine, au piano comme ivre, à la rythmique presque déroutante, où Little Simz rappe comme si sa vie en dépendait, quand Kiwanuka l'accompagne de sa voix d'or et rassurante (on dirait d'ailleurs que Lotus a été écrit sur mesure pour lui. A moins
que ce soit lui qui est capable de faire sienne n'importe quelle
chanson). Les anglais ont un mot pour ce genre de chose : masterpiece.
Album : Lotus Année : 2025 Label : AWAL Recordings
Il ne va pas y avoir besoin de faire long pour vous vendre Ace Trumpets, le morceau du jour. Premièrement, il est l’œuvre de Clipse, le duo formé par les deux frangins Malice et Pusha T. Deuxièmement, ce titre est celui de leur retour après seize ans d'absence (même si les deux s'étaient retrouvés en 2022 pour un morceau sur 'It's Almost Dry' de Pusha T) et le prélude à un nouvel album, 'Let God Sort Em Out', annoncé pour le 11 juillet prochain. Enfin, si le rap et le flow des deux compères est toujours aussi précis qu'efficace, si leurs paroles moquent de façon maligne un peu tout et notamment le monde du rap, Ace Trumpets est surtout porté par la production fantastique, aussi austère que ample et aux beats précieux, de Pharrell Williams, l'ami de toujours, une nouvelle fois derrière la console (il a produit, seul ou avec The Neptunes, les quatre albums de Clipse, et notamment l'excellent 'Hell Hath No Fury' en 2006). Bref, je serais vous, je prendrais 2'34" de mon temps et je poserais mes oreilles sur ce Ace Trumpets des Clipse, morceau pas loin d'être formidable..
Album : Let God Sort Em Out Année : 2025 Label : Roc Nation
A ma gauche, Helen Franzmann, chanteuse australienne plus connue sous le nom de McKisko. A ma droite, Mick Turner, un des trois larrons de Dirty Three, groupe qu'on ne présente plus. A eux, ils forment Mess Esque, duo au nom bizarre (on dirait un jeu de mots) qui vient de publier 'Jay Marie, Comfort Me', son troisième album.
Un disque de de pop-folk rêveuse et évanescente, faussement inégal et qui se révèle vite être
plutôt un disque de trainard où le jeu de Mick Turner fait merveille, où la voix d'Helen
Franzmann est d'une beauté renversante, aussi délicate, touchante,
timide, éthérée que pleine de mélancolie, où la présence de nombreux
invités (dont Jim White, évidemment à la batterie) et les orchestrations
chiadées qui en découlent apportent le cachet et la touche en plus pour
sublimer leurs compositions, et où leurs mélodies, d'apparence
monotones, recèlent de véritables petit bijoux. Au premier rang desquels That Chair et Crow's Ash Tree (en écoute aujourd'hui), les deux chansons
pivot du disque (l'une ferme la face-A, l'autre ouvre la face-B), dilettantes autant que superbes à leur façon et dont l'esprit de liberté semble infini.
Album : Jay Marie, Comfort Me Année : 2025 Label : Forgotten Song Records / Drag City
Il y a des noms comme ça, croisés tout au long de notre vie de passionné de musique, sur lesquels on ne s'est jamais trop appesanti, et le plus souvent à cause d'une image négative construite sur du vent. Chez moi, Edwyn Collins fait partie de ces artistes là. J'ai beau connaitre le CV indie du monsieur, pour moi l'écossais ne se résume qu'à son tube phénoménal A Girl Like You (qui a bercé toute une génération et surtout saoulé toute mon adolescence), un look que je trouvais aussi m'as-tu-vu que ringard et une antipathie qui me semblait émerger de tout son être. En somme, tout un ramassis de ressentis idiots d'adolescents qui m'ont empêché de m'intéresser à son cas, même à ses Orange Juice des débuts dont on m'a souvent loué les qualités.
Alors la sortie d'un nouvel album du même Edwyn Collins en 2025 ne devrait pas m'émouvoir une seconde. Je ne vais quand même pas m'intéresser à un artiste de 65 ans sur le retour, qui ne m'a jamais plu quand il était à son top ? Hé bien figurez-vous que si. Tout cela à cause de Johan, ex chanteur et compositeur du Gulcher 2.0 (dont Without My Hat Records avait publié le 45-tours 'Johnny's Square' et l'unique album 'Cocktails'), critique régulier pour Rock & Folk et qui a publié il y a quelques semaines une chronique très enthousiaste de 'Nation Shall Speak Unto Nation', le dixième album solo de l'écossais.
Et il a bien raison. Car ce disque est de qualité, à la production tantôt ronde, tantôt plus sèche, aux effluves soul (superbe chanson d'ouverture Knowledge) où alternent chansons enlevées et balades plus intimistes superbes (The Bridge Hotel) qu'Edwyn Collins chante d'une voix plutôt fatiguée (mais laquelle ne le serait pas après deux AVC ?) aux intonations et au phrasé qui rappellent parfois le Johnny Cash
période Rick Rubin (The Mountains Are My Home notamment). Une belle surprise en somme, qui renvoie à la face de l'adolescent que je fus toutes ses certitudes idiotes et totalement fausses sur un artiste qu'il va me falloir commencer à découvrir.
Album : Nation Shall Speak Unto Nation Année : 2025 Label : Analogue Enhanced Digital