Vous voyez cette planche de bande-dessinée qui représente un chien assis à une table, prêt à boire son café alors que sa maison brûle tout autour de lui, et qui dit simplement, serein, « This is fine » ? Créé par l'artiste KC Green en 2013, ce dessin, devenu depuis un des mèmes les plus célèbres au monde, aurait pu être la pochette du nouveau single de James Blake, Like The End. Gageons d'ailleurs qu'il a influencé l'anglais dans la création de son propre visuel, qui dit exactement la même chose mais en plus sophistiqué.
Une pochette qui illustre bien le propos de James Blake sur ce nouveau titre. Sans nul doute écrite en réponse à l'élection de Donald Trump il y a deux semaines de cela, Like The End sonne une - fausse - berceuse à la mélodie presque agressive qu'on croirait avoir été écrite par Radiohead. Une chanson désabusée, pour ne pas dire désespérée (« But doesn't it feel like the end? Something's coming for us, I think we're not prepared that this might only be day one »), au tempo lancinant, mais pour le moins très réussie.
Derrière ce visage d'ange, presque poupon, et à qui on donnerait le bon
Dieu sans confession se cache Ruby McKinnon, une canadienne de 26 ans
qui se produit sous le nom de Flower Face. Toutefois, à bien y regarder, on se rend compte que la jeune femme ne sourit pas vraiment. Qu'elle semble essayer mais sans y arriver. Et il y a ces yeux rougis et ces quelques traces de larmes que l'on décèle sur ses joues.
Cette pochette est l'incarnation parfaite du sixième album de Flower Face, 'Girl Prometheus'. Un disque remarquable, écrit à la suite d'une très douloureuse rupture amoureuse et qui retranscrit très bien (Flower Face est une sacrée compositrice) tous les affres par lesquels on passe lors d'une séparation : monde qui s'effondre, incapacité à repartir de l'avant et à croire en des lendemains heureux, douleur incommensurable, tristesse infinie, colère sourde.
'Girl Prometheus' s'ouvre par Biblical Love (en écoute aujourd'hui), une chanson bouleversante dès la première écoute. Un titre qui raconte l'histoire d'une jeune femme qui veut retrouver la pureté de son enfance (« I want to be faithless and pure, I want to be quiet and sober, I want to be untouched and clean »), qui cherche quelque-chose de plus fort et dont la puissance textuelle est dévastatrice tant on peut lui trouver des interprétations différentes. Musicalement, c'est aussi fort. Biblical Love débute comme une chanson folk joliment banale avant qu'un « But it feels like I'm climbing fucking mountains to get to you » déclenche une explosion sonore aussi inattendue qu'assourdissante, et fasse partir le morceau vers des horizons goth et encore plus torturés (ce
chant en soutien du principal, plein de cris, de rage et de désespoir !).
Les anglais ont une expression que j'aime beaucoup et dont le sens est
plus puissant chez eux que chez nous : breathtaking, à couper le
souffle. Je ne suis pas sûr qu'il y ait de mot plus adéquat pour définir Biblical Love de Flower Face : une chanson breathtaking au possible. NB : Pour en savoir plus sur Flower Face et 'Girl Prometheus', la lecture de cette très longue et excellente interview chez Stereogum est plus que conseillée.
On ne peut pas dire qu'en tant que lyonnais, on ait à se plaindre niveau programmation musicale. Il faut dire que depuis une vingtaine d'années et, notamment, l'émergence de l'association Grrrnd Zero qui a revitalisé une ville passablement somnolente, l'offre concerts entre Saône et Rhône n'a jamais cessé de progresser et d'être foisonnante, avec des salles de toutes les tailles et de tous les formats (je ne vais pas les lister, elles sont bien trop nombreuses)
Pourtant, tout ceci ne m'empêche pas d'être grognon. La faute à ce vendredi 15 novembre 2024, frustrant au possible pour le lyonnais que je suis. Ce soir là sont programmés deux groupes que je tiens en haute estime et que j'aurais aimé pouvoir revoir sur scène une nouvelle fois. D'un côté, les Beak> de Geoff Barrow qui se produiront à L’Épicerie Moderne. De l'autre, la québécoise Myriam Gendron qui elle sera sur la scène du Sonic.
Deux atmosphères et deux ambiances distinctes. Mais pas moins de talent. Car si Beak> fait évidemment plus parler de lui (Geoff Barrow est « l'autre » de Portishead et il vient d'annoncer qu'il quitterait le groupe à l'issue de cette tournée), Myriam Gendron a elle aussi du talent à revendre. Elle vient sur Lyon pour présenter son troisième album 'Mayday', le successeur du merveilleux 'Ma délire - Songs of Love, Lost & Found' en 2021.
'Mayday', qui se pare d'atours verts, est un très bel album, peut-être pas aussi marquant que son prédécesseur rouge (véritable chef d'œuvre de son temps) mais remplis de petites douceurs, délicates ou électriques (superbe Berceuse), intime, où Myriam Gendron raconte ses histoires en français ou en anglais, le tout saupoudré parfois d'un peu field recordings ici et là. Un disque beau comme tout dont il n'est pas à douter une seconde que les chansons prendront une belle ampleur sur la scène du Sonic ce vendredi soir où le temps devrait se suspendre durant une bonne heure.
NB : Myriam Gendron sera également en concert à Rouen (14/11), Mouans-Sartoux (16/11), Paris (17 et 18/11) et Bruxelles (19/11)
Album : Mayday Année : 2024 Label : Feeding Tube Records / Thrill Jockey
Derrière ce nom féminin de Molly Drag se cache Michael Charles Hansford, canadien qui a ressemble à un David Harbour (le shérif de la série 'Stranger Things') plus jeune, moins massif et qui ne porterait que la moustache. 'Mammoth' est le septième album de Molly Drag. Et une des plus belles découvertes de mon année 2024.
Entre bedroom et chamber pop, avec le piano comme pièce central et majeure (mais qui n'est pas seul, loin de là), plein de mélancolie et de désenchantement que Hansford chante d'une voix d'ange, cet album de Molly Drag est porté par quelques sublimes chansons, de Dogfight en ouverture qui vous happe dès les premières notes de sa mélodie irrésistible (en écoute aujourd'hui) à sa suivante Wild Life et son riff langoureux du refrain en passant par le single Hell Raiser ou le morceau de clôture Knife In The Mud et ses guitares voluptueuses.
Court (trente-deux minutes au compteur), intime et absolument superbe, sorte de rencontre entre Radical Face et Fog Lake (il n'est d'ailleurs pas étonnant de voir ce dernier donner de la voix sur la chanson titre) ou son projet Soft Water, 'Mammoth' est un album d'une beauté implacable, qui tient les mélodies pleines de spleen en haute estime.
Album : Mammoth Année : 2024 Label : I’m Into Life Records
Sur 'Comfort To Me', Amyl and The Sniffers n'y allait pas par quatre chemins : en ligne droite, à fond tout du long, aussi punk que garage, avec du gabba gabba hey dans l'esprit. Trois ans après l'album de la révélation (des tubes comme Hertz aident il faut dire), les australiens reviennent avec un troisième album, 'Cartoon Darkness', toujours aussi punk dans l'âme (et au cas où vous en doutiez, la crétine pochette est là pour le rappeler), mais avec quelque-chose en plus : deux balades. Enfin « balade »... Pour Amyl and The Sniffers s'entend. Disons si vous préférez qu'ils ralentissent le tempo. Et que cela leur va - très - bien.
Si Big Dreams a de faux-airs de Fontaines D.C. des débuts et fait poindre une fureur contenue, c'est surtout Bailing On Me (en écoute aujourd'hui) qui est la plus intéressante. Une chanson aux effluves plus pop que punk (c'est sans doute la plus pop de leur répertoire d'ailleurs) où Amy Taylor chante tout en retenue et désinvolture, avec de la mélancolie dans la voix (est-ce que ce cœur brisé est le sien ?) avant d'être suppléée par quelques sifflements du meilleur effet. On ne peut plus charmant.
Album : Cartoon Darkness Année : 2024 Label : Rough Trade Records