A l’époque où je stageais en maison de disque, j’avais mis
‘Portrait du Jeune Homme en Artiste’, premier disque d’
Arnaud Fleurent-Didier, dans la chaine de l’étage promotion. J’étais tellement fou de ce disque que j’avais besoin de le faire écouter au plus grand nombre. C’était un après-midi où
RJD2 venait répondre à plusieurs interviews à l’occasion de la sortie de son album
‘Since We Last Spoke’.
Plus que mes collègues, c’est surtout
RJD2 – qui ne pipait pas un mot de français – qui avait eu l’oreille attirée par les chansons et les soyeux arrangements du bonhomme. Et qui, après quelques échanges, était reparti avec une copie du disque (qui, soit dit en passant, n’était pas du tout sorti sur notre structure).
Ramble John Krohn avait eu l’ouïe fine. Car il faut bien dire que ce premier album d’
Arnaud Fleurent-Didier est un véritable chef d’œuvre totalement méconnu jusqu’il y a encore quelques mois de cela (et qui pourrait trouver aujourd’hui, il faut l’espérer, une deuxième chance méritée), un somptueux hommage à la chanson française alliant des chansons pop travaillées à des textes littéraires et brillamment écrits.
Surtout, ce disque était un vrai courant d’air frais dans une chanson française alors déjà passablement empêtrée dans un néo-réalisme hésitant entre le risible et l’insupportable.
Cinq ans plus tard et une rupture (tout au moins artistique) avec
Ema Derton la voix féminine de son premier disque et de ses premières aventures sous le nom
Notre Dame, revoilà
Arnaud Fleurent-Didier, quittant la petite structure French Touche menée par de délicieuses demoiselles pour aller s’encanailler avec Sony-Columbia, rien que ça.
Au programme, un nouvel album,
‘La Reproduction’, mis en orbite depuis juillet dernier par une chanson épatante,
France Culture (en écoute
ici), prouvant par la même qu’il n’avait rien perdu de son talent d’arrangeur et de compositeur.
Sorti le 4 janvier (et, c’est à souligner, mis en vente à 10.90€), l’album commence tranquillement à faire parler de lui et la surexposition médiatique semble pointer le bout de son nez. Une exposition totalement légitime et bienvenue, pour un artiste qui aurait mérité un tel traitement de faveur dès 2004.
‘La Reproduction’ est dans la lignée de
‘Portrait du Jeune Homme en Artiste’. Descendant musical des
Jean-Claude Vannier,
Michel Colombier,
Michel Legrand et autres
Bertrand Burgalat,
Arnaud Fleurent-Didier compose là un nouveau grand album, qu’il faut apprivoiser afin d'en déceler tous les délices.
Si son
‘Portrait du Jeune Homme en Artiste’ racontait les déboires professionnels, les doutes sentimentaux et la procrastination récurrente d’un garçon de 25 ans,
‘La Reproduction’ axe ses textes sur la famille.
Arnaud Fleurent-Didier y parle beaucoup de son père (
Ne sois pas trop exigeant,
Si on se dit pas tout) et de sa mère (
France Culture), de ses grands-parents (
Mémé 68,
Pépé 44), tout en gardant côté loser magnifique avec les filles qui lui va bien (
Risotto aux courgettes,
Je vais au cinéma).
Dans un phrasé à en faire pâlir plus d’un, notre homme convainc largement une fois de plus. Sa pop n’est pas avare de mélodies et d’instruments, mais ne surjoue pas et n’en fait pas trop :
Arnaud Fleurent-Didier est un esthète dont les compositions sont aussi délicates que sa voix, presque efféminée et toute en fragilité, qui en exaspérera plus d’un.
‘La Reproduction’ est un album superbe, qui mérite plusieurs écoutes pour rentrer dans son univers romantique et plein de spleen. Et si l’on pourra reprocher une facilité d’écriture pas toujours bienvenue à
My Space Oddity (le seul titre vraiment en deçà), on acclamera ce grand compositeur, sorte de dandy du XXIè siècle.
‘La Reproduction’ et
Arnaud Fleurent-Didier, notamment par l’exposition dont ce disque va faire l’objet, vont être détestés. On parlera de bobo à son égard (un grand classique). On critiquera surement son name-dropping (dont il n’abuse pourtant pas ici), on évoquera
Vincent Delerm (tête de turc de beaucoup), on ricanera de son côté très parisien et on se foutra de son nom (
«Fleurent-Didier ouh ouh, comme c’est ridicule») voire de sa coupe de cheveux.
Mais à dire vrai, les chiens aboieront et la caravane passera sans leur jeter un regard. Quiconque aime un tant soit peu la belle chanson française,
Gainsbourg,
Vannier ou le
Katerine de
‘Mes Mauvais Fréquentations’, ne pourra que succomber à
‘La Reproduction’. Et on ne gardera au final à l’esprit que la qualité incroyable des compositions d’
Arnaud Fleurent-Didier, de cette façon bien à lui de raconter ses histoires directement à nous, auditeurs.
La France tient depuis quelques années un artiste vraiment complet. Elle peut désormais se targuer de le voir prêt à conquérir les oreilles du plus grand nombre. Dans un pays où
Christophe Maé ou
Florent Pagny trustent les charts avec des chansons à l’affligeante nullité, cela n’a pas de prix.
(sortie : 4 janvier 2010)