Savez-vous ce qu’est un
grower ? Non? Vraiment pas? Mais c'est que vous êtes autant à la rue que moi alors! Car ne pas utiliser
grower quand on parle de musique aujourd’hui, c’est comme ne pas citer le mot
toque tous les 2 phrases pour évoquer le jeu du FC Barcelone: en gros, c’est être carrément hors du système.
Grower est un mot qui fait depuis quelques semaines – voire quelques mois – une incroyable percée sémantique pour devenir un mot incontournable quand on parle de musique.
Qu'est ce donc qu'un
grower ? Un grower désigne un album (mais cela marche aussi pour un Ep)
dont les premières écoutes s’avèrent décevantes mais qui se bonifie à chaque nouvelle mise en chaîne. Bref, un disque qui demande à son auditeur un peu de patience pour offrir pleinement sa substantifique moelle.
On aurait pu dire « qui demande du temps » ou « qui ne se laisse pas apprivoiser facilement ». Mais on utilise
grower.
C'est mieux, c'est plus court et ça a l’avantage d’être anglais. A faire se retourner Jacques Toubon dans son placard d’Hadopi.
Le nouvel album d'Arcade Fire,
'The Suburbs', est donc, si j'ai bien tout compris à la chose, un
grower. En tout cas pour moi.
Nullement par dédain mais plus dans l’optique de me faire un avis très neutre sur le sujet, j’ai laissé passer l’orage de la sortie avant de passer à l’écoute. Une première écoute d’ailleurs assez peu marquante, pour ne pas dire décevante.
Mais vu que la bande à
Butler a quand même égayé mon univers musical sur la décennie passée (et surtout en 2004), je ne me suis pas fait prier pour lui donner une nouvelle chance. Et dans des conditions optimales : la nuit, pas un bruit autour de moi, concentré sur mon sujet – en tout cas, autant qu'on peut l'être quand on écoute un disque.
Et j’ai trouvé que ce nouvel album d'Arcade Fire avait
growé par rapport à la première fois, y découvrant quelques sacrées chansons. Et la fois suivante ce fut encore mieux,
‘The Suburbs’ growant de plus en plus dans mes oreilles, grâce à un début tonitruant (
The Suburbs,
Ready to Start,
Modern Man ou
Empty Room) et une fin décapante (
Deep Blue,
We Used to Wait,
Sprawl II).
Soyons bien clair,
‘The Suburbs’ est loin de
la magnificence de 'Funeral' (qui arrive encore à me surprendre après tant d’écoutes), ou même du très beau
'Neon Bible'.
C’est à mes yeux un album trop long, qui mériterait une coupe d’une quinzaine de minutes, qui contient quelques chansons ratées (l’insupportable
Rococo) ou largement dispensables (
Half Light I et
II), qui aurait mérité un peu plus de folie (ah,
Tunnels...) et qui aurait pu faire une part un peu plus belle à la voix de
Regine Chassagne.
Mais Arcade Fire pond là quand même un concept album avec de solides compositions, des hymnes certains,
et dépeint avec force et talent ce que c’est que de vivre dans une ville de banlieue, tout ce que cela comporte d'ennui et d'inactivité, le tout si près et si loin en même temps de la ville, la grande, la belle, la rêvée.
Surtout, Arcade Fire avec
‘The Suburbs’ sort là un disque qui
growe. Sûrement pas indéfiniment mais suffisamment pour avoir envie de l’écouter régulièrement. En espérant que, dans quelques mois, il ne se mette pas à bêtement
lower.
(sortie : 2 août 2010)